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BIRMANIE. 48 H à BAGAN : à pied, à vélo, en calèche

  • par websitebuilder
  • 16 avr., 2018

Lundi 27 novembre 2017

Depuis 7 heures du matin, assis en plein vent à l’arrière de notre bateau sur un fauteuil en bambou, je contemple le sillage qui strie les eaux du fleuve mythique et nourricier du Myanmar, l’Irrawaddy. Il fait froid. Un brouillard digne des brumes du plat pays cher à Jacques Brel nous accompagne depuis le départ de Mandalay. Il nimbe le large et vaste fleuve d’une atmosphère à même de susciter en nous des vapeurs nostalgiques ou romantiques. Par le travers, apparaît une embarcation chargée à ras bord de birmans comme une ombre fantomatique ou un banc de poissons filant sous le nez du plongeur en apnée.

D’une rive à l’autre. Une image vient à l’esprit, celle des fragiles esquifs surchargés traversant la Méditerranée

Puis La grisaille se déchire. Une lumière vive a pris le relais. Ce fleuve est une autoroute économique, une voie de circulation pour les birmans, une aubaine pour le tourisme. Des barges lourdement chargés, notamment de charbons de bois, attestent de l’importance vitale de cette artère de 2000 km, l’équivalent du Fleuve Jaune pour le pays. Une longue embarcation passe à proximité surchargée de fûts sommairement arrimés. Une image furtive colonise mon imagination, celle des fûts tombant comme un jeu de dominos dans le fleuve et y projetant une langue de feu. Mais mon cerveau a vite fait de balayer d’un revers de neurones les images de ce film catastrophe.

L’Irrawaddy, un fleuve nourricier
L’Irrawaddy, une route économique

Par intermittence nous croisons des barques de pêcheurs, quelques bateaux transportant des touristes. Des échancrures visuelles sur les rives révèlent des stupas orgueilleux plantés sur les flancs des collines, un Bouddha doré géant en figure de proue regarde vers l’amont de l’Irrawady, des chars à bœufs… Des paysans birmans, silhouettes penchées sur la terre, dessinent un quotidien de labeur. Mais somme toute peu de trafic et un peu de déception. La largeur du fleuve éloigne les rives et ses paysages. Il ressemble parfois à une mer intérieure, le ciel se confondant avec la vaste étendue d’eau, le regard recherchant vainement une aspérité, une profondeur de champ. L’Irrawaddy n’est certes pas le Nil où l’on côtoie les rives et par voie de conséquence l’activité et la vie locales.

Indifférent au trafic fluvial le bétail paît tranquillement
Bouddha impassible perché sur une colline. A ses pieds une file de moines allant quêter leur pitance quotidienne

Je tombai dans une forme de somnolence. Puis, après 9h heures de navigation, nous accostons.

Le débarcadère est réduit à sa plus simple expression. Des porteurs grimpent précipitamment à bord, tentant de mettre la main sur des bagages. Le matin, je suis arrivé à bord le dernier peu avant le départ et j’avais déposé ma valise au-dessus de l’amoncellement de bagages. J’avais anticipé cet abordage sauvage et tumultueux et valise à roulette à la main, je me fraye un passage dans cette bousculade bon enfant en négligeant les sollicitations d’aide plus qu’insistantes. En tête du peloton de la vingtaine de voyageurs qui ont partagé avec moi cette navigation, je mets le pied sur la terre ferme. Un dernier obstacle à franchir, à savoir une butte de terre qu’il faut escalader en évitant ses chausse-trapes….Je suis à Bagan.

Bagan ( ancien orthographe Pagan). Des noms mythiques résonnent dans nos têtes : Borobudur pour l’Asie, Machu Picchu pour l’Amérique du Sud, Abou-Simbel et les pyramides pour l’Afrique, l’Acropole et tant d’autres pour la vieille Europe… mais Bagan a tardé en entrer dans ce cercle prestigieux.

 Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’ouverture du Myanmar au monde draine désormais des centaines de milliers de touristes qui, smartphone, caméra et appareil photo à la main engrangent les images de centaines de temples et de pagodes qui peuplent cette  vaste plaine de 50 km2.

Pour ce premier voyage de 2 semaines au Myanmar j’ai voyagé avec l’agence locale de ma fille, organisant ainsi l’hébergement et les transports. Un taxi m’attend et m’emmène à l’hôtel à Nyaung U. Mais auparavant, je me déleste de 25 000 kyats, la taxe d’entrée pour avoir le droit de visiter Bagan et ses monuments. Je dispose de 2 jours pour faire connaissance de ce musée à ciel ouvert.

10 mn de pause pour m’installer et siroter un café. Il est 16h30. Pas de temps à perdre. Le soleil commence sa descente. Marche à pied jusqu’à la pagode distante de 1200m. D’une pierre deux coups, je détends mes muscles, réchauffe mes articulations engourdies par le voyage et je vais à la rencontre de l’un des joyaux de Bagan, la pagode Shwezigon à la lueur du soleil couchant. Les lieux sont quasi déserts, les groupes de touristes ont déjà plié bagages.

Shwezigon, vaisseau flamboyant ou montagne d’or

Choc visuel en découvrant ce vaisseau d’or massif et élégant. Il a été construit par le roi Anawrahta. Son règne marque le début de l’âge d’or de Bagan. Arrivé au pouvoir en 1044 à la suite d’un combat singulier avec son demi-frère qu’il trucida, il mourut tué par un buffle. Curieux destin. Il prit le pouvoir par la lance…et le perdit par la grâce des cornes d’un buffle.

La pagode a affronté une sérieuse tempête en 1975 avec un tremblement de terre qui l’a démâté de son stupa. Mais la reconstruction financée par des dons locaux, nationaux et internationaux l’a remise sur pied.  

Les travaux ont nécessité la pose de 30 000 plaques de cuivre recouvertes de feuilles d’or. Trois terrasses carrées en brique lui donnent une forte assise. Elles sont bordées de plaques de terre cuite vernissées décorées de scènes de Jataka qui retracent les nombreuses vies antérieures du Bouddha.  J’en fais le tour une première fois. Je croise 3 moines, une famille birmane et un couple de touristes chinois.

Détails du bol inversé. Ogres tenant des guirlandes dans leur bouche
A cette heure la pagode offre plusieurs visages, celui de l’ombre à l’abri des rayons du soleil, celui de l’ombre et de la lumière pas facile à gérer pour le photographe et enfin l’explosion incandescente provoquée par les rayons obliques du soleil. La tête en l’air, je reste bouche bée et avale goulûment la profusion de lumière et de formes qui se dégage de cet édifice. Près de mille ans m’en séparent.
Gardien des lieux à chaque angle des terrasses de la pagode
40 années de travaux. Quelle débauche d’énergie humaine cette pagode hors du temps a-t-elle mobilisée, que de vies a-t-elle prises ? Dans un effort de vaine empathie j’imagine l’armée d’esclaves levée pour transporter et assembler les blocs de grès qui composent le cœur de l’édifice. A cette époque, la vie et le coût de l’esclave représentaient peu de choses. Pour le prix d’un éléphant vous achetiez 40 esclaves !
Le sommet du stupa : pétales de lotus redressées puis inversées, ombrelle avec les clochettes, le bourgeon de Satthwa, la girouette, enfin l’orbe de diamant.
Assis sur le rebord d’un petit temple annexe je laisse le temps glisser vers le crépuscule. Mes yeux ne se détachent pas de l’édifice, s’attardant sur les détails du stupa tentant d’en comprendre l’organisation scénique, l’ornementation en stucs, l’alignement des arbres stylisés à vocation votive, les lions gardiens du lieu, les petits stupas s’élevant à chaque angle des trois terrasses carrées.
Edifice satellite. Temple carré surmonté d’un sikhara

Je tente avec le zoom de mon appareil photo d’identifier la partie terminale du stupa. Je perçois bien les pétales de lotus, l’ombrelle avec les clochettes dont le tintement renvoie à la foi des fidèles, la girouette mais pas facile de se faire une idée du bourgeon de diamant qui couronne l’édifice.

Cette pagode centrale est accompagnée par de nombreux bâtiments, sanctuaires, temples, salles de prière, Zédis comme une planète avec ses satellites. En particulier, le temple de Thagya Min accueille les 37 génies du panthéon birman, les Nats sur lesquels reposait la religion ancestrale avant l’importation de l’Inde du bouddhisme Theravada.

Shwezigon. Autre éclairage, autre perspective

L’ombre descend sur mes épaules. Non loin de moi, un birman la cinquantaine sereine, les jambes émergeant de son longyi – le sarong à la mode birmane - tient négligemment son cheerot à la main et en tire quelques bouffées.

Base de la pagode avec l’alignement des arbres votifs

Quiétude et silence.

Nyaung U est à l’écart des monuments concentrés dans la plaine autour d’Old Bagan mais la vie y est plus dynamique avec ses commerces, son marché, ses restaurants et ses hôtels bon marché ou réservés à une clientèle moyenne.

A 200m de l’hôtel, je suis tombé à l’arrêt devant un panneau posé à l’entrée d’un restaurant ouvert sur l’extérieur. En français, j’ai pu lire l’inscription suivante « ici on ne parle pas français mais on mange bien ! ». Cet humour m’a plu. Je suis resté fidèle au Mya Yadanar et au fil de mes repas j’ai noué des relations amicales avec la patronne et le personnel. La responsable m’a donné des conseils sur les lieux à visiter et une carte de la région avec l’emplacement des principaux monuments. Certes, d’habitude je suis assez indifférent à ce que je mange mais ici j’ai honoré les plats copieux et succulents qui m’ont été proposés.

Accroche efficace pour attirer le client français

Ce soir, deux couples de français sont installés à proximité. Leur conversation animée portait sur la religion…alors je me suis fait tout petit en me concentrant sur le contenu de mon assiette ! Avec un peu d’incompréhension lors de mes 4 repas suivants, midi et soir, j’ai constaté que j’étais le seul client. A proximité, des bus déversaient leur contingent de touristes dans des restaurants chinois plus sophistiqués mais question authenticité et simplicité ils n’arrivaient pas à la cheville de ce restaurant birman…  

 

Mardi 28 novembre 2017

Levé aux aurores, je suis d’attaque pour aller à la rencontre de ce sanctuaire qu’est la plaine de Bagan ave ses centaines de temples, pagodes et monastères.

L’hôtel me loue pour 2 euros la journée un vélo de fabrication chinoise sans dérailleur et aux pneus fatigués, avec un antivol grinçant que l’on manœuvre avec une clé rouillée. IL enserre le cadre et la roue arrière comme des menottes autour du poignet d’un détenu.

Il fait frais. Juché sur cette monture improbable  je me lance sur la route à allure modérée.

Le mois précédent, jeune septuagénaire j’avais découvert le VTT sous les conseils avisés du coach de ma fille Fanny. J’anticipais ainsi les chemins pierreux et sableux de Bagan et j’étais outillé pour manier le guidon dans de bonnes conditions.

Mais très vite, ainsi privé du dérailleur salvateur, un faux plat me force à appuyer sur les pédales. Un court effort certes mais la mise en jambes est un peu rude !

Mon plan est de me diriger vers Old Bagan et de visiter les temples et pagodes proches de la route.

Pour être franc, je me méfie d’une éventuelle crevaison ou d’un incident mécanique, bref ma confiance à l’égard de ma monture est toute relative. Je veux la tester sur la route avant de tutoyer le réseau dense des chemins et des sentes où épines, cailloux saillants et sillons sableux m’attendent de pied ferme.
Prudence, à vélo le sable ne s’apprivoise pas facilement

Je me sens euphorique ayant attendu ce moment depuis si longtemps. Je ne suis pas déçu avec cette première immersion dans ce monde minéral.

Délaissant mon vélo, je déambule parmi un ensemble de stupas, certains alignés côte à côte comme des sentinelles fixant l’éternité et indifférents au regard des visiteurs. Ils en ont vu d’autres comme ces mongols se déversant dans cette plaine chauffée à blanc pendant les mois les plus torrides. Au cours de la période 1287-1313, ils mirent ainsi fin à l’âge d’or de Bagan.

Certains stupas ont été rénovés. Des stèles rappellent le nom des donateurs, la date de fondation, les dons effectués, chacun selon ses moyens, terres, bétail, esclaves, monuments... L’objectif des constructeurs-donateurs était, on le devine, d’acquérir ici-bas suffisamment de mérites pour atteindre le Nirvana, état sans souffrance et d’une sérénité absolue, ou même plus devenir soi-même un Bouddha. Chacun érigeait un temple ou un stupa en fonction de son statut et de ses moyens. Au roi les plus grands édifices, aux gens fortunés les moyens et au petit peuple les petits. Cette concentration exceptionnelle dans la plaine de Bagan, peut-être unique dans l’histoire de l’humanité, s’explique ainsi.
Stupas rénovés avec les stèles des donateurs …bien en évidence

Au-dessus d’un alignement de trois stupas, je perçois vers l’Est les montgolfières qui se déploient dans le ciel. Je reprends ma route mais ma monture semble récalcitrante et pour cause le pneu arrière est complètement dégonflé. Je lui exprime mon mécontentement. Elle s’en contrefiche !

Je décide de retourner à l’hôtel distant de 3 kms en poussant mon vélo tout en visitant les temples et pagodes à proximité de la route.

Une initiative utile prise par les autorités est à signaler, celle d’installer des panneaux indicateurs avec le nom du monument et la distance qui nous en sépare.

A 200m de la route la haute stature du temple Hti-lo-min-lo se dresse coiffé d’un échafaudage en forme de préservatif géant grillagé. C’est le dernier temple construit dans le style Myanmar. Le vaste parking désert à cette heure, il est 7h du matin, montre qu’il attire nombre de touristes.

Un bus est stationné. En descend un groupe de moines et de novices.

Ils forment une file d’attente disciplinée, le bol à aumône calé au creux du pli de l’avant-bras. Patiemment, ils attendent leur tour avant que des birmans versent dans leur récipient la pitance du jour.

Novices en attente de leur repas du jour
Je suis accosté par un petit groupe de moines pour le traditionnel selfie. Pendant mon séjour, en dépit de mon inaccoutumance à cet usage qui fait fureur, j’ai adopté une attitude coopérative. On me propose ensuite de faire une photo de groupe. J’accepte volontiers.
Des moines prêts à dégainer leur smartphone
Je photographie les portes aux reliefs sculptés, déniche avec mon zoom à la surface de la muraille en brique ocre ou rouge une tache blanche, celle d’un pigeon qui n’a cure de l’agitation en contrebas.
Un bol à aumône bien rempli

Je reprends ma route vers l’hôtel. Un touriste proche de la quarantaine, long comme un jour sans pain, ayant constaté mon infortune s’arrête. Il me signale qu’il a trouvé la veille un birman qui lui a réparé son pneu de vélo crevé près du temple que je viens de quitter. Il me conseille d’y aller. Mais étant à 1,5 km de l’hôtel je préfère poursuivre mon chemin. Il se remet en selle. Sa haute silhouette de néerlandais, le buste droit comme un obélisque me fait penser à Jacques TATI dans Jour de Fête dans son rôle de facteur excentrique avec son coup de pédale frénétique…Je revis ce touriste sympa et décontracté en fin d’après-midi lorsqu’il me dépassa, moi en calèche et lui toujours juché sur son vélo. Il me reconnut et me fit un bref salut. Il était resté fidèle à sa monture… pas moi.

Forêt de stupas au soleil levant

Quelques centaines de mètres loin, je m’arrête près d’une échoppe de locations de scooters électriques. Je discute avec l’employé sur les vertus de cette monture silencieuse que désormais les touristes, les jeunes en particulier, ont adoptée sans réserve délaissant ainsi la petite reine.

Il fait une moue apitoyée en regardant le pneu et il me dirige un peu plus loin vers deux hommes s’affairant autour d’un camion. Illico, les deux birmans réparent ce satané pneu. En réalité il n’est pas crevé mais la valve déficiente laisse échapper son contenu piégé dans la chambre à air. Valve changée, je remets 1000 kyats à l’un de mes sauveurs (eh oui !) et requinqué je repars en sens inverse vers la découverte des richesses de la plaine de Bagan.

Je prends un chemin de terre à gauche pour me diriger vers un temple que j’aperçois à peu de distance. Personne. Je passe sous un haut porche de pierre qui donne sur une étendue ceignant l’édifice. Une birmane accrochant du linge me désigne du bras droit le côté est du temple où un escalier permet d’accéder  à l’étage. Fier de mon birman rustique mais à l’aide du dictionnaire anglais-birman je lui demande le nom du temple que je lui propose d’écrire sur mon carnet. Elle accepte mais écrit en birman ! Je saurai le soir en consultant la carte que c’est le temple Shwe-leik-too l’un des 4 ou 5 monuments catalogués Sunset view. L’escalier sombre est étroit. Je me profile de biais pour franchir le petit porche de pierre qui permet d’accéder à une large terrasse.

Les touristes passent, le monument reste hiératique

Pas âme qui vive. J’emprunte la ruelle qui permet de déambuler autour du temple. Je profite de la vue et tente d’identifier et de repérer les temples et pagodes dont les sommets se dressent, grosses épingles piquées dans un coussin de verdure et de sols sableux.

Shweleiktoo. Déambulatoire extérieur

Reprenant la route parcourue au petit matin, je fais un arrêt devant U-Pali -Thein. Une birmane et son mari exposent sur une petite table des éditions en anglais et en français de deux incontournables ouvrages sur la Birmanie. Une Terre Birmane, un roman crépusculaire écrit par le jeune Georges Orwell alors en poste dans le Nord et très critique sur l’attitude distante et hautaine des colons britanniques. La Vallée des Rubis de Joseph Kessel lors d’un séjour à Mogok que je n’ai pas lu. Certes ce sont des éditions imprimées de façon médiocre où l’encre grossière met à mal le texte mais je me laisse convaincre. Pour 6000 kyats, soit 4 euros, je fais mien le livre de Kessel.  

 Je débouche sur un vaste espace de terre et de sable. Ici, se dresse le temple Ananda. Je ne pouvais pas rater ce rendez-vous avec ce temple emblématique le plus connu et le plus visité. Je mets mon vélo sur son trépied mais je suis vite abordé par une jeune birmane qui me propose l’inévitable dépliant de cartes postales. Je lui promets de revenir vers elle après mes pérégrinations dans l’enceinte du temple. Je sais, que visite achevée, elle sera dans les parages guettant mon retour.

Le temple Ananda, élégance et finesse

Pas de groupes de touristes descendus d’un car, quelques touristes individuels, deux ou trois couples. Le gros du flux est peut-être passé. En dépit de ses proportions, le temple offre une finesse étonnante et dégage une sorte de félicité et de luminosité avec ses murs blanchis à la chaux, sa géométrie parfaite avec l’agencement des cinq terrasses, la ponctuation des pagodons et l’alignement des lions altiers aux angles, une splendeur avec l’éclat de la flèche et du stupa en nid d’abeilles où se nichent les bouddhas omniprésents.

Ananda, fier de son sikhara d’or
Chinthe mi-lion, mi-dragon au pied de chaque angle de la pagode

A l’ombre d’un tamarinier je profite de la vue, je m’imprègne de ses formes, je détaille les ornementations en stucs. Décidément ce temple en forme de croix grecque a fière allure. Une jeune chinoise me sollicite pour une photo. Je la cadre en contrechamp avec le temple en arrière-plan. Satisfaite, elle me rend la pareille.

Un des mille visages sous la lumière
Bouddhas se nichant dans un épi de maïs

A l’intérieur je profite de la fraîcheur et emprunte le double déambulatoire. Je m’arrête à chaque point cardinal pour saluer l’immense bouddha qui nous domine sereinement de sa hauteur de 9 à 10 m.

Ils n’ont pas l’air commode

Je tente de les capter dans mon viseur. Allongé sur le ventre à même le sol dallé lustré depuis des siècles par le passage des moines et des fidèles je stabilise mon appareil photo pour une longue pose…et je cadre chaque Bouddha dans mon viseur. Pas évident comme exercice.

Ananda. Déambulatoire intérieur

A quoi pense cette effigie sereine et impavide ? La main droite levée, la main gauche paume vers le haut reposant sur les jambes croisées, un mudra qui signifie à la fois l’absence de crainte et un geste de réconfort, Gautama semble poser sur moi un regard à la fois indulgent et amusé.

En revanche, au Sud, Kassapa arbore une moue souriante. Je lui trouve un air de Joconde en plus avenant. Cette statue en teck recouverte de feuilles d’or est d’origine, les autres ont été endommagées par un incendie à la suite du tremblement de terre de 1975 qui décidément a martyrisé la plaine de Bagan et ses monuments.
La double physionomie du Bouddha Kassapa

Je me rapproche à son aplomb. Son visage change de physionomie. Elle me fait penser à mon instituteur de 8ème dont la sévérité n’était pas la moindre de ses qualités !  

11h. Retour à l’hôtel. Repos et douche froide régénératrice. Après le repas pris au Mya Yadanar, une petite sieste et un peu de lecture de la Vallée des Rubis, j’emprunte un nouveau moyen de locomotion, la calèche.

A 16h30 le conducteur de la calèche est fidèle au rendez-vous. Direction la pagode Shwe-san-daw haut lieu pour assister au coucher de soleil sur la plaine de Bagan et ses monuments. Mais le cocher m’annonce qu’il y a un changement de programme. La pagode est désormais fermée en raison des détériorations liées aux pluies diluviennes de la mousson ce qui doit contrarier les plans de moult touristes, organisateurs et guides. On se dirige vers un autre lieu proche situé à Old Bagan. Le cheval est nerveux, son allure est soutenue que j’estime à 16-17 km/hm. Le confort est relatif mais ce changement de monture me  sied en cette fin d’après-midi.

A 17h, je me hisse sur la corniche principale du Shwe-Gu-Gyi qui, désormais accessible, se substitue à la pagode Shwe-San-Daw. Des visiteurs sont déjà installés. Je converse avec un couple de français. On se photographie face au soleil couchant. 

La brique rouge ocre en profite pour se pavaner fière de ses couleurs flamboyantes.

Le soleil couchant sublime les trésors de Bagan
La présence humaine se densifie. Je comprends la décision de limiter le nombre de temples et de pagodes que l’on peut gravir. Le martèlement des milliers fois répétés des pas fragilise les édifices, les joints s’effritent, une brique se désolidarise de ses voisines, reste en équilibre puis se détache.
Ombres chinoises

Avouons-le, ce coucher de soleil est majestueux. Dans le crépuscule, les silhouettes des monuments se détachent comme des marionnettes d’un théâtre d’ombres projetées sur la toile.

Le trot rapide du cheval me ramène à l’hôtel vers 18h30. Un moment de frayeur lorsque le cheval, on ne sait pourquoi, fait un écart sur la gauche de la route comme s’il était pris de la danse de Saint Guy. Le cocher, le fouet levé, furieux et peut-être vexé, a eu quelques difficultés à maîtriser cet animal qui reste néanmoins selon la formule consacrée la plus noble conquête de l’homme !

Le soir, petit incident. Alors que je me trouve sous la douche la lumière s’éteint dans l’hôtel et aux alentours en raison d’une coupure dans le quartier. Par cette nuit sans lune, je tâtonne pour récupérer la serviette et à pas de loup pour éviter la glissade sur le carrelage, je mets la main sur ma lampe frontale.

Je parcours le livre de Kessel à la lueur de cette lampe puis extinction des feux. Brutalement vers deux heures du matin, la chambre et la terrasse contiguë s’illuminent. On aura compris que l’électricité refit surface…

Mercredi 29 novembre.

6H. Je fais attention à choisir une monture plus fiable que celle adoptée la veille. Je vérifie les pneus, contrôle les freins, m’assure de la stabilité de la machine…bon, allons-y, direction le temple Shwe-leik-too situé à moins de 2 kilomètres pour assister au lever du soleil.

Arrivé au temple, j’emprunte  comme la veille la volée étroite de marches pour atteindre la large terrasse. Un porche dont la largeur ne permet pas le passage de front permet d’accéder aux corniches pyramidales pour prendre de la hauteur. 2 jeunes filles et un couple évoluent au-dessus de moi en équilibre sur ces corniches qui n’autorisent pas le moindre faux pas. Je grimpe sur la première mais je renonce et redescends sur la terrasse pour mieux me déplacer et jouir du spectacle gratuit qui se découvre à l’horizon. Proprement fabuleux.
Fresque peinte sur fond de ciel
Bulles, lampions, larmes du ciel…

Les 4 touristes me rejoignent. Nous prenons conscience de notre privilège. Ce sont des moments que l’on n’hésite pas à capturer via l’obturateur de notre appareil photo mais que notre cerveau engrangera aussi dans les tiroirs de notre mémoire.

Pivotant de 90 degrés vers le Nord, je contemple le paysage éclairé par l’astre du jour en direction de l’Ayeyarwaddy.  Les temples et zédis sont en fête saluant l’aube qui les dote de leurs plus beaux atours. Au-delà, on devine les collines nimbées de brume perchées de l’autre côté du fleuve.

Cette perspective permet de prendre conscience de la densité proprement invraisemblable des monuments érigés pour la plupart depuis 8 à 10 siècles.

Il est difficile de donner un chiffre d’autant que des estimations proprement fantaisistes ont été données. Certes, des milliers de temples, stupas, monastères ont été détruits parce qu’un roi, dont on taira le nom, a voulu récupérer les briques pour construire des forts autour de Bagan. Les tremblements de terre nombreux dans la région, les débordements tumultueux de l’Irrawaddy ont aussi prélevé leur tribut.

On ne s’en lasse pas

Toujours est-il qu’on évalue aujourd’hui à moins de 3000 le nombre de monuments existants. Un inventaire a été réalisé. Il les chiffre par catégories de constructions : 524 stupas (zédis), 911 temples, 415 monastères.

Rappelons-le, mais tous les guides touristiques en font état. Un stupa ou zédi est une construction pleine, un reliquaire et aussi un monument qui commémore l’enseignement du Bouddha. Un temple, appelé aussi temple-grotte, est une structure creuse où les fidèles se recueillent et où Bouddha réside.

Le temps est suspendu, on aimerait arrêter l’horloge mais le soleil poursuit sa course en projetant ses rayons sur un paysage qui s’éclaire, disperse son édredon cotonneux et détoure les édifices de cette zone  à l’est de Bagan. Il est temps de reprendre son chemin.

Bornes du temps accompagnant le visiteur le long du chemin

Les deux jeunes filles sont françaises. On se photographie mutuellement et on se lance dans une conversation classique en la circonstance. Elles ont débarqué il y a deux jours à Mandalay. Ce sont deux amies qui se retrouvent, l’une venant de Paris, l’autre de Hong Kong où depuis quelques mois elle met en place un projet de distribution de petit déjeuner à des entreprises. Bel exemple d’initiative de la part de jeunes français qui n’hésitent plus à tenter leur chance hors des frontières.

Elles utilisent le scooter électrique. Elles me proposent de l’essayer, m’expliquent son maniement. Mais je me contente de monter dessus. Elles éclatent de rire quand je leur explique que j’ai en horreur tout ce qui ressemble à un cheval à moteur. Sans renier le progrès et sans vouloir remonter aux temps de la marine à voile et du cheval à vapeur, je suis un peu rétif au progrès quoique néanmoins utilisateur et profiteur. Eternelle contradiction !
Le vélo sans dérailleur se conjugue au passé, le scooter électrique au présent. Question de générations…

Mais mon unique expérience de la moto s’est avérée désastreuse. Elle m’a dissuadé et inhibé à jamais. En 1972, à Bali, j’avais loué une cylindrée de 125 cm3 pour aller dans un village du centre de l’île où j’effectuais un stage ethno délaissant ainsi mon vélo hollandais acheté à l’époque pour 15 000 roupies ( au cours actuel cela fait 1 euro, au cours 72 près de 40 dollars !).

Sur un chemin de terre étroit j’ai perdu l’équilibre et je suis tombé dans la rizière avec ma monture à essence…Deux paysans balinais sont venus m’aider et à l’aide d’un buffle ont hissé la moto sur la terre ferme. J’ai lavé mon 125cm3 en utilisant une source d’eau qui alimente les rizières selon un système sophistiqué et surveillé en permanence.

Un peu plus tard dans le village, mon pied droit a glissé sur la pédale et au lieu d’actionner le frein j’ai accéléré …et percuté le mur d’un temple. Pas trop de dégâts matériels mais le mollet de ma jambe gauche a frotté sur le pot d’échappement. La brûlure non traitée s’est transformée en infection avec une jambe qui commençait à prendre l’allure d’une pastèque. Sous ces latitudes cela ne pardonne pas. Résultat, traitement antibiotique de choc pendant deux semaines.

On comprend pourquoi cette expérience s’est gravée dans mon cortex et contribue au refus d’enfourcher à nouveau une moto ou tout ce qui y ressemble y compris ce scooter électrique qui pourtant n’a pas l’air farouche…

Sympathique rencontre. Nous nous souhaitons bonne chance pour la visite du site de Bagan.

Je poursuis ma route jusqu’à Old Bagan avec pour objectif de longer la rive orientale de l’Irrawaddy jusqu’à la pagode Bupaya.

Je prends mon temps, franchis la porte Sarabha, la monumentale dernière porte encore debout dédiée aux esprits Nat. Ce vestige marquait une des entrées de la cité fortifiée construite au IXème siècle par un souverain Pyu. Derrière des remparts puissants protégés par des douves plusieurs dizaines de monuments y ont été érigés. Parmi eux le temple Mahabodhi et la pagode Bupaya vers lesquels je me dirige.

J’emprunte une voie à droite qui mène au fleuve. Peu de circulation.

Mahabodhi

Je marque un arrêt devant le temple Mahabodhi à la structure particulière pyramidale. Il témoigne de l’influence indienne exercée sur les décideurs baganais de l’époque. Edifié au XIII siècle, il est une réplique du temple de Bodh Gaya situé dans le centre de l’Inde. Avec le zoom de mon appareil photo j’en détaille la structure. Sur le pourtour de cette pyramide d’innombrables niches accueillent un Bouddha assis. On en dénombre 465. Des htis dorés s’y accrochent comme des pinacles.

Sikhara de Mahabodhi, une profusion de Bouddhas dans leur niche

Cette pyramide s’achève par un stupa effilé surmonté du traditionnel Hti qui semble flotter dans l’espace.

Je me dirige vers le fleuve en empruntant une descente abrupte. Les mains sur les freins qui répondent modérément, je songe que le retour se fera à pied, l’absence de dérailleur transformant cette montée en col alpin !

Vue sur l’Irrawaddy

L’embarcadère aligne ses bateaux locataires sagement alignés comme des chevaux de course dans leur box. Surplombant le fleuve j’observe l’activité et le va-et-vient des embarcations. Une d’entre elles déverse son contingent de voyageurs birmans : parmi eux un groupe de moines dont l’un âgé bénéficie de l’aide de ses disciples pour poser le pied sur la terre ferme.

Vélo en main je teste mes mollets sur la pente à 10%. Mais lorsque je me mets en selle en haut de la grimpette, je pédale dans le vide… ma monture chinoise me joue un mauvais tour en provoquant un saut de chaîne. Elle ne manifeste aucun respect à l’égard de pauvres jambes d’ores et déjà engagées sur une pente descendante !

Plus dure sera la montée en l’absence de dérailleur

La technique et moi cela fait deux. Accroupi, je tente de réajuster la chaîne. A ce moment deux jeunes birmans s’invitent et en un tour de main remettent la récalcitrante sur ses dents.

La pagode Bupaya tel un phare domine le cours de l’Irrawaddy. La blancheur de son socle et l’explosion de lumière qui se dégage du stupa doré foudroient les rétines. Les lunettes de soleil suffisent à peine pour atténuer cette agression.

La pagode Bupaya, phare surplombant l’Irrawaddy
Gourde d’or

Edifiée par les pyus vers le IXème siècle (l’étymologie du nom : Bu- gourde et paya–pagode) elle a été détruite par le tremblement de terre de 1975. Elle a été reconstruite depuis. Je suis mitigé par le résultat obtenu. Ce stupa cylindrique bombé reposant sur une plateforme polygonale crénelée et immaculée – l’image de la panse d’un buveur après une fête de la bière bien arrosée me vient à l’esprit !- renvoie à un esthétisme classique où le beau se mesure à l’aune de la perfection des formes et au maquillage sophistiqué de l’enveloppe minérale.

Je suis plus enclin à m’émouvoir devant des édifices qui exsude les stigmates causées par les tremblements de terre, les moussons, les périodes torrides, les inondations, autant de cicatrices qui renvoient à notre condition éphémère, qui les autorisent à s’accorder un brevet de noblesse et d’héroïsme, c’est selon.

De ces ruines sans éclat mais non sans noblesse s’en dégage un parfum singulier.

Ruines sans éclat ou éclats du passé

J’avais lu il y a quelques années le livre de Benjamin Desay – le Vagabond des ruines- dédié aux sites d’Angkor, de Borobodur et de Bagan. Même s’il était un peu élitiste, exigeant et individualiste dans sa manière de visiter les lieux précités, je me souviens avoir partagé une partie de ses émotions et perceptions d’un univers hors normes sur le plan architectural. L’homme dans sa volonté de s’attirer les bonnes grâces divines ne lésine pas dans sa capacité créatrice et dans la mobilisation de moyens humains d’un autre temps.

Nous avons eu, nous aussi, cette période d’élévation spirituelle avec nos églises romanes et nos cathédrales.

De ce promontoire naturel je contemple le fleuve mythique et je pense à ces navigateurs qui pendant des siècles ont levé les yeux sur cette pagode, point de repère sublime.    

Je reprends ma route pour me diriger vers le cœur de Bagan où la concentration de monuments les plus emblématiques et le tourisme de masse se déploient.

Je repasse devant le temple Shwe-gu-gyi gravi la veille pour assister au coucher de soleil.

Le temple Thatbyinnyu, le plus élevé de Bagan

Par un chemin sableux j’accède au temple Thatbyinnyu, massif et qui me toise du haut de ses 65 m. C’est le plus élevé de Bagan. Il fut construit sous le long règne de Alaungsithou au XIIème siècle. Son fils lassé d’attendre d’accéder au trône étouffa son père mettant ainsi fin à 50 ans de carrière royale. A cette époque on ne plaisantait pas au sein des familles. Nombre de transmissions royales ont été le produit d’assassinats.

Ce temple bien aéré et bien éclairé fait l’objet d’une ferveur particulière de la part des birmans. Construit sur le modèle des temples de l’Inde du Sud il en adopte la structure à plusieurs étages mais se caractérise surtout par l’empilement de deux énormes parallélépipèdes.

J’en fais le tour. Sa surface blanchie à la chaux exhibe des traces noires verticales comme des cascades d’humidité. Les intempéries patiemment, mousson après mousson, ont déposé leurs offrandes. Des alignements de pagodons scandent l’angle des terrasses, de hauts frontons surmontent les fenêtres et arcades comme des diadèmes ou des flammes.

Le temple Thatbyinnyu, les larmes du temps

Le vélo à la main puis juché sur ma selle je tourne le dos au temple et emprunte un chemin qui côtoie quelques édifices. Soudainement, un chien blanc aux oreilles tachées de roux se précipite vers moi, apparemment pas pour déclarer sa flamme ! Je m’arrête, mets mon vélo de travers et le fixe calmement mais fermement tout en actionnant l’obturateur de mon appareil photo.

Je n’ai pas envie de tester le vaccin curatif contre la rage ! Aussi rapidement qu’il s’est précipité vers moi, il se détourne et va rejoindre deux de ses congénères, paresseusement allongés sur le sol terreux, dotés de plus d’atouts que leur compère mais ne manifestant guère d’intérêt à mon égard. L’heure n’est pas à la bagarre !

Ce n’est pas de l’amour, c’est de la rage

Une birmane d‘une trentaine d’années m’accoste et me désigne d’un mouvement du bras le temple qui se dresse à une cinquantaine de mètres. D’après elle je peux l’escalader. L’alignement des marches hautes attend de pied ferme le visiteur dont les genoux et les quadriceps doivent répondre favorablement à l’effort exigé.

J’escalade la volée de marches étroites en adoptant la position latérale et non frontale. Je me méfie de ma pointure 44 et de mon sens de l’équilibre. L’âge me rend prudent et j’ai en mémoire la chute d’une jeune américaine qui, il y a quelques jours s’est tuée en se hissant sur un monument à l’écart des plus fréquentés. Depuis quelques années il est désormais interdit de monter sur les temples et pagodes à l’exception de 5 ou 6 d’entre eux.

Genoux et quadriceps, à vous de jouer

Je suis seul sur ce stupa. Je parcours la principale terrasse et jouis de la vue aux alentours. Levant la tête, la tentation est grande de me hisser sur un déambulatoire réduit à sa plus simple expression. J’hésite devant le risque de chute. Je profite de ma tranquillité.

 Mais ce fut bref. Une voix forte se fait entendre. La tête d’un guide surgit sur la terrasse suivie par celle ébouriffée d’un touriste téléphone vissé à l’oreille et caméra à la main. L’accent est américain. Il commente sa grimpette et son arrivée sur la terrasse. A l’entendre, il essaie d’épater son correspondant. Il donne l’impression qu’il vient de se hisser en haut du K2 ou de l’Annapurna !

Je suis partagé entre l’amusement et le malaise. Il grimpe et me surplombe. Il ne prête guère attention à ma présence. En revanche, la sienne s’apparente à celle du barrissement d’un éléphant évoluant dans un magasin de porcelaine…

Le charme est rompu. Je redescends. Comme je m’y attendais la birmane m’avait à l’œil. Elle m’accoste et me propose d’aller visiter le temple en face : à ses dires c’est le seul à caractère indien de Bagan. Je consens à la suivre, à écouter ses explications données en anglais. Elle me cite le nom des statues, notamment la sainte trinité hindouiste, Civa, Brahma, Vichnu. Je comprends mieux pourquoi elle le qualifie de temple indien.

Je tente de faire preuve de bonne volonté. Puis arrive le moment où son jeu se dévoile. J’imaginais une demande de rémunération en contrepartie de son rôle de guide mais c’était plutôt une invitation à effectuer des achats auprès de son échoppe située à une vingtaine de mètres. Moment toujours délicat de décliner sa proposition avec des arguments, reconnaissons-le, un peu légers et hypocrites.

Plus tard devant la pagode Shwe San Daw (littéralement « temple d’or des cheveux ») un jeune vendeur de dépliants de cartes postales tentera de la jouer finement avec de l’imagination et un peu d’humour. Voyant que j’étais français il m’a fait le coup du vendeur qui promeut des marques de la grande distribution comme Carrefour, Auchan, Ikea. L’objectif évidemment est que je morde à l’hameçon en entamant une conversation à l’issue de laquelle je n’aurais pas manqué de succomber à l’acte d’achat. Bien essayé…

Shwesandaw. Accès fermé. Grosse frustration pour les touristes.

Je me trouve devant cet édifice construit par Anawrahta afin d’y enfermer des cheveux du Bouddha. Le moins que l’on puisse dire c’est de constater qu’il y a beaucoup d’animation avec la présence en nombre de vendeurs qui tentent de s’accrocher aux basques des visiteurs.

 Il est vrai que cette pagode était un endroit couru pour assister au coucher de soleil. Mais les intempéries dues à la dernière mousson ont fragilisé l’édifice privant ainsi les touristes d’un observatoire unique. L’accès aux escaliers est barré. Je mesure la verticalité des escaliers qui desservent les 5 terrasses et j’imagine le vertige que certains ont pu ressentir en se retournant vers le vide. La frustration des visiteurs est visible sur le visage de certains en constatant la fermeture de l’accès aux terrasses.

Petit à petit la chaleur s’empare de mon organisme. La sudation imprègne ma chemise et de nombreuses fois je porte à mes lèvres le goulot d’une bouteille d’eau que j’ai emmenée en plusieurs exemplaires dans mon sac à dos.  

Alternativement je monte en selle ou je pose pied à terre lorsque le chemin représente un risque pour les pneus. Je croise un groupe de vététistes asiatiques puis 5 ou 6 calèches offrant à ses passagers une promenade bucolique, lesquels s’efforcent de garder l’équilibre dans l’habitacle valsant au hasard des rugosités de la piste.

Calèche, autre moyen de locomotion paisible et reposant quoique…

Au bout d’une large esplanade se dresse le temple Dhamma-yan-gyi pakto, massif et court sur pattes. Il a été construit par le fils maudit qui assassina son vieux père que l’on a évoqué précédemment. Peut-être voulut-il se faire pardonner en donnant des gages pour sa vie future. Mais il périt lui aussi assassiné tué par le père d’une princesse qu’il avait fait exécuter pour une sombre affaire de rites hindous qu’il ne lui plaisait pas…

Il ne put voir le temple achevé. Ce roi sanguinaire ou fou avait poussé la plaisanterie jusqu’à mettre à mort les maçons qui n’avaient pas ajusté au plus fin la pose des briques, exigeant qu’un simple aiguille ne puisse s’insérer entre les interstices !  

Temple Dhammayangyi, trapu et massif

De larges corridors ceinturés de murs épais procurent une fraîcheur agréable. Deux Bouddhas comme des jumeaux inséparables semblent être habités par l’éternité. Ce sont deux Bouddhas historiques, Gautama et Maitnya.

Bouddhas historiques. Gautama et Maitnya

Désirant prendre un cliché du temple, je m’éloigne pieds nus pour avoir un meilleur angle de vue : initiative malencontreuse…des épines sans crier gare s’enfoncent sous la plante.

Je m’assieds sur une marche sous un des porches d’accès et tente de retirer une à une ces satanées épines.

J’évolue dans cette plaine à pied ayant abandonné mon vélo contre un arbre. Pendant ¾ d’heure j’erre dans ce dédale de pistes et de sentes en m’éloignant des chemins principaux.  En dépit des rayons du soleil devenant plus ardents, je savoure ce moment de liberté sans avoir à pousser ou à manœuvrer mon cheval chinois.

 Je pense que pratiquer en partie la marche à pied à Bagan est un exercice salutaire qui permet de prendre la mesure de ce musée archéologique. On s’arrête quand on veut, le regard est plus acéré, l’imprégnation du lieu est plus authentique.

Vagabonder par les chemins avec des stupas comme compagnons, quel bonheur !

Mon esprit vagabonde vers des temps lointains. Je foule des sentes qu’ont empruntées tant de birmans, d’envahisseurs, de pauvres hères qui y ont travaillé sous la contrainte, d’artisans de tous les corps de métiers qui ont ciselé, sculpté, maçonné, décoré ces milliers d’édifices. Beaucoup y ont laissé leur vie : la fatigue, les privations, les maladies, les sévices ont été un marchepied vers une destinée funeste.    

Après 5 heures de pérégrinations il est temps de repartir vers une pause bien méritée. J’emprunte la voie Anawrahta, sorte d’autoroute pratiquement déserte. La sueur dégouline entre les omoplates alors que je me déhanche sur la selle. Pas très fluide ni esthétique !

12- 16h : repas, repos, lecture

16h. Je repars et me dirige vers les rives de l’Irrawady vers une zone peu visitée et dépourvue de temples connus. Mon envie est de flâner parmi chemins et sentes sans objectif particulier, en me fiant au hasard pour rencontrer ruines et monuments disséminés parmi la végétation. Je progresse soit à pied soit en selle en fonction du terrain sur lequel j’évolue avec toujours le souci d’anticiper les crevaisons.

 Je débouche sur un vaste terrain de terre colonisé par un groupe de jeunes birmans en tenue de footballeurs. Je pensais lire sur leur maillot le nom de Messi, de Ronaldo ou autre joueur célèbre dans le monde entier mais oh surprise ce sont des noms birmans qui sont inscrits au dos, certainement ceux qui appartiennent à l’élite footballistique de la Birmanie.

Partie de foot

C’est curieux mais dans l’avion entre Pékin et Yangon j’ai côtoyé les membres de l’équipe nationale de la Mongolie occupant la même rangée et les sièges voisins.

Je lus plus tard dans un journal anglosaxon que l’équipe du Myanmar avait remporté le match l’opposant à la sélection nationale mongole par un score étriqué. Amusant.

Je prends quelques clichés tout en restant une dizaine de minutes à les observer.

Dans cet univers de broussailles, de buissons épineux martyrisés par le soleil torride j’évolue, serein, profitant à plein de cet environnement où je n’ai croisé aucun touriste. Seules rencontres deux adolescents et un paysan l’outil sur l’épaule à qui je lance le bonjour d’usage min ga la ba.

Pas de ruines ni de monuments mais je perçois par-dessus de hautes herbes jaunies le sommet d’une construction apparemment en mauvais état. Je sors mon appareil. Mauvaise surprise plus de batterie…Frustration mais en même temps c’est peut-être une aubaine, poser le regard sans la médiation ou le filtre de l’objectif photo.
Ce mudra signifie que Bouddha prend la Terre à témoin

Je m’approche, ce n’est pas un stupa mais plutôt un petit temple non répertorié sur mon plan. Je passe ma tête par le porche orphelin d’un certain nombre de briques. Allumant ma lampe torche, je devine dans le fond obscur une volée de hautes marches, je scrute les murs à la recherche de fresques en pure perte. J’hésite à me hisser sur la corniche que j’ai pu repérer en arrivant. Puis je renonce pour des raisons liées au respect du lieu. Ne pas grimper c’est à mes yeux le choix de ne pas imposer à cet escalier et surtout cette corniche une pression supplémentaire.

Certes, d’autres n’auront pas cette réserve peut-être inhabituelle mais je reste fidèle à mon souci en tant que touriste d’être le plus neutre possible comme par exemple de ne pas utiliser le flash pour capter dans le viseur des fresques à l’intérieur des temples. Un patrimoine, cela se préserve.        
Stupas tentant de défier le temps et les tremblements de terre

La journée est bien avancée. Je la clos vers un dernier rendez-vous, le coucher de soleil là, où ce matin, j’ai pu assister à son lever au temple Shwe-leik-too.

Je sais que les conditions seront différentes. Délaissé le matin, ce temple est pris d’assaut en raison de la défection de la pagode Shwesandaw haut lieu prisé des visiteurs à la recherche d’un coucher de soleil mythique sur les monuments de Bagan.

Shweleiktoo. Touristes au balcon en attente du coucher de soleil

Inutile d’emprunter le sombre escalier de pierre. Il y a foule au balcon. Je me contente de photographier ce temple incendié par les rayons du soleil. Il accueille nombre de spectateurs qui sont là non pour lui rendre hommage mais pour assister à la descente de l’astre source de vie sur notre bonne vieille Terre. Etrange et un peu dérangeante cette image de touristes perchées sur ces briques patientes et vaillantes.

Je conseille à un couple de français, déçus, de revenir le lendemain à l’aube…

Achevons ce récit entièrement dédié à ce fabuleux monde minéral en réintégrant le genre humain avec le visage de deux enfants qui, espérons-le, incarneront le Myanmar de demain.

Sur leur visage, le Thanaka, sorte de maquillage issu de l’écorce d’arbres, dessine des disques. Cette substance a plusieurs propriétés, notamment celle de protéger la peau contre les U.V. Le pari est là. Concilier respect des cultures et des traditions et ouverture vers une modernité maîtrisée.
Le futur du Myanmar
Confiance en l’avenir

Pour ma part, je dis au revoir à Bagan. Demain direction Pindaya via le mont Popa. Mais je reviendrai.

par websitebuilder 05 déc., 2022

Cette route est un road trip à part entière qui fait voyager entre terre et mer. Nous l’avons prise à partir de Carmel jusqu’à notre petit cottage situé à Pismo Beach, traversant sa partie la plus intéressante qui s’étend de Carmel à San Simeon : bienvenue sur le Big Sur.

par websitebuilder 16 nov., 2022

Le quartier hippie

  Notre road trip a commencé à San Francisco, ville marquée dans notre imaginaire collectif par le « Summer of love » de 67 et je me suis demandée si « la maison bleue adossée à la colline » existait bel et bien et si les rues sont encore emplies du parfum mythique de « tous les hippies de San Francisco, plein d’amour brûlant dans leurs yeux ».

par websitebuilder 15 juil., 2022


14 novembre 2021. Les roues de l’avion entrent en contact avec la piste unique de l’aéroport de Sao Pedro sur l’île de Sao Vicente, une des 10 îles du Cap Vert.

L’avion est bondé. Comme le mien l’était en mars 2020 de retour d’Ethiopie. Et pour cause les opérations de rapatriement transformaient l’aéroport d’Addis Abbeba en ruches bourdonnantes. Les avions étaient pris d’assaut. Le virus entamait sa course mortelle autour du globe. Depuis, l’Ethiopie est le théâtre d’une guerre civile meurtrière dans la région Nord où je randonnais. Depuis je pense souvent à ceux que j’ai pu croisés ou rencontrés ? Que deviennent-ils ?

par websitebuilder 01 août, 2019
5 jours en Egypte au mois de décembre 2018, d'Hurghada à Louxor.
par websitebuilder 01 août, 2019
« Quien no ha visto Sevilla, no ha visto maravilla », traduction littérale : « Celui qui n’a jamais vu Séville n’a jamais vu de merveille ». 
Ce dicton résume à lui seul cette ville.
Dressée le long du Guadalquivir, sa situation stratégique lui a permit d'être une ville puissante et riche. Grâce à son histoire, Séville a hérité d'un passé arabe et quelques siècles plus tard, elle fut également le principal port de commerce en Europe vers les Amériques au temps de la conquête espagnole.
par websitebuilder 23 mai, 2019

Mai 2010

Passer de la climatisation de l’avion à un bain de chaleur voilà le premier contact avec le Vietnam et sa capitale Hanoï. En ce début d’après-midi il fait 40°. Commence notre périple de 15 jours du Nord au Sud.

Cette année 2010 Hanoï fête ses mille ans. L’empereur Ly Thai Tô en 1010, au septième mois lunaire, fonda ce qui allait devenir Hanoï. La vue d’un dragon surgissant du ciel, heureux présage selon lui, l’incita à faire du lieu sa capitale « Thang Long » la ville du dragon qui s’élève.

par websitebuilder 11 janv., 2019
Une échappée hors du temps sur les Backwaters du Kerala
par websitebuilder 17 nov., 2018

Mai 2016. Madame et moi décidons de visiter l’île de Madère située à une portée d’heures de l’hexagone.

L’envie me tenaillait depuis plusieurs années de fouler cette étonnante île volcanique accueillante aux amoureux ou aux passionnés des fleurs, de la nature sauvage, des randonnées pédestres le long des levadas.

par websitebuilder 13 juil., 2018
Le cortège s’échelonne sur plusieurs centaines de mètres et progresse tranquillement. Beauté et sérénité se dégagent de cette houle blanche qui coule sur l’asphalte. Des bannières et des parapluies multicolores se balancent au milieu de ce moutonnement humain. Un étrange animal comme une sorte de monstre à quatre pattes se dandine au milieu d’hommes portant chemise blanche et sarong à damier à carreaux noirs et blancs. Des gongs et des métallophones nimbent l’atmosphère d’une musique syncopée parfois striée par le son d’une flûte...

Nous sommes le mercredi 4 avril 2017. C’est jour de Galungan.


par websitebuilder 09 févr., 2018

Octobre 2014. Je passe quelques jours à Yogyakarta chez Mien Brodjo, la tante de mon amie Katharina. Un séjour très agréable chez une dame presque octogénaire, active, alerte, très connue à Java et dont le parcours de vie est étonnant.

Kat et ses deux cousines Abi et Rini ( la fille de Mien) ont programmé tôt ce matin un trekking en jeep à proximité du volcan Merapi (montagne de feu ), le plus actif et le plus dangereux des 129 volcans indonésiens et culminant à près de 3000 m.

Nous allons sur les traces de l’éruption meurtrière d’octobre-novembre 2010 qui a fait plus de 300 victimes dont le juru kunci ( le gardien des clés du volcan).

1 heure de route jusqu’au lieu où nous attend le conducteur de la jeep, un javanais au physique viril d’acteur américain. Abi ne semble pas insensible à cette force tranquille qui émane de lui…cela promet !

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